caricatureNon, les trois victimes de l’attentat de la basilique Notre-Dame de Nice ne sont pas des martyrs comme on a pu le dire. Un martyr meurt pour sa foi : ces deux femmes et cet homme ont été égorgés le 29 octobre pour défendre le droit pour un journal parisien de répandre des caricatures obscènes souillant ce que des milliers de personnes considèrent comme sacré, pire que cela, on les a massacrés parce que la France a revendiqué le droit d’imposer ces insultes à tous les enfants des écoles de la République.

Il faut dire les choses haut et clair : on ne peut instrumentaliser le climat émotionnel actuel pour revendiquer l’unanimité derrière une posture politique insoutenable. Le 27 octobre, le ministre Jean-Michel Blanquer apostrophait Jean-Luc Mélenchon : « Votre outrance (…) ne vous donne pas un droit au mensonge, à l’insulte ou à la diffamation. » Quelques jours plus tôt, une autre ministre revendiquait explicitement « le droit au blasphème » : Roselyne Bachelot expliquait même qu’il constituait l’ « âme de la France » ! « C’est notre culture », renchérit le ministre Bruno Le Maire. On croit rêver ! Or qu’est-ce que le blasphème sinon une insulte au sacré ? On peut insulter Dieu, on n’insulte pas un ministre du Gouvernement !

 

Non, notre culture, celle que nous avons reçu sur les bancs de l’école publique, laïque et obligatoire, celle des « Hussards de la République » est une culture du respect de l’autre, de la courtoisie et de la tolérance. On lui a substitué progressivement un droit de tout dire et de tout faire, une insolence d’adolescent stupide au nom de la sacrosainte « liberté d’expression ». Qui de nous ne s’autocensure en permanence, par respect pour l’autre ? Dire ou écrire sans aucune retenue n’a jamais été une preuve d’intelligence.

La rédactrice d’un journal chrétien commentait ces jours ce dessin qui met en parallèle un croyant blessé par une caricature et un caricaturiste « blessé » par un croyant ; elle disait justement la disproportion phénoménale entre le crime abject d’un être humain et un peu d’encre sur du papier. C’est vrai, c’est évident. Cependant on ne nous fera pas croire qu’aucun journaliste au monde considère que son travail ne consiste qu’à mettre un peu d’encre sur du papier : il s’agit d’un pouvoir, peut-être le plus puissant qui soit aujourd’hui, qui agit sur les esprits, galvanise, émeut, questionne, blesse aussi et tue d’une certaine façon. Autrefois les journalistes informaient, puis ils se sont mis à interpeller ; on a finalement vu apparaître le journalisme d’ «investigation », anglicisme fort sympathique qui se traduit en français par le terme – moins glamour – d’« inquisition » (du latin inquirere : enquêter)…

Oui, tout peut être dit aujourd’hui, on peut citer la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen (1789), la loi sur la liberté de la presse (1881), la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat (1905), le Code pénal et autres jurisprudences, on peut être couvert par la loi, mais mon « âme » et ma « culture » pour reprendre les mots des ministres, m’interdiront toujours d’insulter qui que ce soit.

Il est des caricatures qui amusent, qui font réfléchir, qui bousculent même, y compris touchant le religieux mais cet art est difficile. Il est infiniment plus commode de tomber dans la grivoiserie, certains ne s’en privent pas et en font commerce. Celui qui s’y aventure ne s’honore pas et prend le risque de heurter profondément surtout si l’on touche, au-delà de la personne de l’autre, des réalités ou des individus qui lui sont chers. Qui ne serait blessé profondément et durablement si l’on touchait à sa propre mère avec ces armes-là ? La disproportion du dessin évoqué plus haut dit peut-être quelque chose de l’extrême violence de certaines encres frelatées sur des papiers malpropres : elles assassinent ce que des butors (et peut-être des ministres, que de nom…) ne connaissent pas et qui s’appelle précisément l’âme.

Oui, nous défendrons la liberté d’expression, le droit de rire et de faire rire de tout, mais jamais au nom d’un prétendu « droit au blasphème », jamais au détriment du respect de l’autre. C’est cela qu’on appelle la « culture » : art de l’équilibre et de l’élégance qui sait provoquer sans blesser, contredire sans insulter, affirmer sa différence sans mépriser. Pour avoir souhaité cette « forme de respect », un représentant politique a été sommé par le ministre (encore un !) Gérald Darmanin de retirer ses propos… Demandez-nous l’unité nationale mais, par pitié, pas derrière ces falsifications de ce qu’est la véritable culture française et si vous n’avez que mépris pour le religieux, interrogez-vous un jour sur cette puissance mystérieuse capable de susciter les plus grands héroïsmes et malheureusement aussi ses plus monstrueuses contrefaçons.

Mais chut !!! Pour avoir dit cela certains évêques ou ecclésiastiques ont été mis au pilori par le microcosme politico-médiatique ! Euh, vous avez dit liberté d'expression ?