La fin rLa fin, notre fin…

L’approche de la Toussaint, en harmonie avec la nostalgie véhiculée d’ordinaire par l’automne, nourrit ce sentiment vague et mélancolique où la mort trouve naturellement sa place. Malgré tous nos efforts pour l’évacuer de notre horizon (crémation, éloignement et discrétion des cimetières, réduction du rituel qui l’entoure, maquillage de la douleur en célébrations faussement festives, etc.), elle demeure La réalité inéluctable à laquelle nous serons tous un jour confrontés. L’épisode du Covid aurait pu nous aider à nous replacer lucidement devant cette échéance qui rend nos vies bien relatives, il semble que nous ayons raté l’occasion…

L’Église chargée de porter l’évangile à chaque génération n’a pas pour mission de faire peur mais bien au contraire de porter un message d’espérance, d’une espérance qui ne trompe pas, qui ne repose pas sur un mensonge, un déni de ce qui est ou son édulcoration. Dans son discours sur la fin des temps qui rejoint l’interrogation de chaque homme sur sa propre mort, elle relaie le texte des quatre évangiles et la correspondance des apôtres qui en sont imprégnés. Aucun des écrits du Nouveau Testament ne fait l’économie de ce que les théologiens appellent l’eschatologie (discours sur les fins dernières), au point qu’un évêque me disait qu’il devait être au cœur du message chrétien, au risque de ne faire que du travail d’ONG. Laissons donc à chacun sa fonction et relisons par exemple les chapitres 24 et 25 de saint Matthieu.

Jésus commence son enseignement en invitant ses disciples à contempler le Temple de Jérusalem dont il annonce la destruction. Bien sûr, se pose tout de suite la question du quand ? : humainement, nous avons besoin de connaître le moment pour sans doute avoir le loisir de se préparer. Reconnaissons-le, il est difficile de se préparer à un évènement lorsque l’on n’a pas d’échéance car la motivation manque. À son habitude, Jésus étonne et déroute : il ne répond pas à la question en leur offrant une date, mais il reprend l’interrogation sous l’angle du comment ? et leur donne ainsi des éléments pour vivre ce temps d’attente.

Telle est la difficulté majeure de l’exigence chrétienne : une vigilance constante. Comment vivre sa foi dans la durée ? Pour celui qui souhaite le suivre, Jésus exhorte à ne pas perdre le cap. Des circonstances et des évènements tragiques surviendront, mais il ne faut pas perdre la foi en celui qui est la Vie. À y regarder de plus près, Jésus énonce des maux qui sont récurrents dans l’histoire : catastrophes, guerres, etc. Oui, quand tout cela cessera, ce sera la fin. Alors, la fin du monde est-elle pour demain ? Chaque génération se pose cette question. Oui les générations passent, mais l’Évangile, le témoignage de la Résurrection demeure. Et c’est la force du témoignage pascal qui unit les générations. Revenons aux conseils de Jésus : il invite ses auditeurs, puis plus tard les communautés chrétiennes, à vivre un authentique présent. Il les appelle à ne pas s’installer dans un apparent confort au point d’oublier la condition du disciple et de ne pas maintenir une vigilance continue.

Pour saisir davantage l’esprit dans lequel nous sommes appelés à vivre ce temps d’attente, Jésus offre quatre éclairages révélant chacun un indice, tout en mettant en tension le quand ? avec le comment ?. Il y a d’abord cette vieille histoire que l’on connaît bien : celle de Noé où les hommes vivaient pour soi, dans la consommation de plaisirs. Jésus reprend cette image pour dire la brutalité du « Jour » à venir. C’est une invitation à rester connectés à l’essentiel.

Puis Jésus enchaîne avec l’histoire d’un serviteur que son maître a établi gérant des biens et du reste de son personnel en son absence. Heureux est-il de ne pas s’être détourné de sa mission au moment du retour soudain du maître. C’est une invitation à vivre chaque jour son ministère de baptisé.

Jésus poursuit avec l’histoire des jeunes filles qui attendent l’époux sans connaître l’heure du rendez-vous. Il est certain que l’époux viendra, mais quand ? Certaines se sont préparées pour ne pas manquer cette rencontre, même si elle se fait attendre, d’autres non. C’est une invitation à se préparer continuellement dans un désir joyeux pour la fête d’une rencontre sous le signe de l’Amour.

Enfin Jésus termine avec l’histoire d’un homme qui part en voyage pour une durée indéterminée en confiant ses biens à tous ses serviteurs « en fonction des capacités de chacun ». L’un d’eux a fait preuve de paresse, ne travaillant pas à la fructification de ce qui lui avait été confié. C’est une invitation à s’engager dans un travail fécond pour le Royaume dès à présent, dans un don sans réserve qui ne se calcule pas à l’aune de la faiblesse des autres.

L’espérance chrétienne n’est pas un « peut-être » du lendemain, une hypothèse paresseuse et naïvement optimiste, mais une certitude du « Jour du Seigneur ». Heureux celui que le Maître en arrivant trouvera debout, éveillé et vigilant !