« Il reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts. »
La venue annoncée du Messie dans la gloire coïncidera avec le Jugement dernier, celui du dernier Jour, qui inaugurera son règne définitif. « Juger les vivants et les morts » peut être interprété de deux façons : 1/ désigner ceux qui seront en mesure d'entrer dans sa Vie et ceux qui seront destinés à la « seconde mort » qui sera en fait une éternité de souffrance, ou bien 2/ juger ceux qui seront déjà morts et ceux qui seront encore vivants lors de son retour : « nous ne mourrons pas tous » (1 Cor XV 51) mais « tous nous comparaîtrons devant le tribunal de Dieu » (Rom XIV 10).
Le Fils de l'Homme n'est pas venu pour juger mais pour sauver (Jn III 17), de là s'est répandue l'idée, même chez de nombreux chrétiens, qu'une distinction assortie d'une peine aussi terrible est incompatible avec le message de l'évangile. C'est ne l'avoir jamais lu en entier et c'est nier la responsabilité de l'homme et l'enjeu de sa vie : toute l'œuvre de Dieu est de hisser sa créature à ce niveau de liberté et à cette puissance, de faire un choix capital pour l'éternité.
Malgré la contradiction apparente, dans une autre page de l'évangile, le Seigneur annonce qu'à son retour « il siégera sur son trône de gloire et qu'il séparera les hommes les uns des autres » (Mt XXV 31-32).
La solution se trouve à la suite du premier passage (Jn III 18-19) : « et le jugement le voici : la lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré l'obscurité ; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu'il n'a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. » Ainsi le jugement est-il l'œuvre de chacun dans son choix libre de reconnaître ou non le Christ Fils de Dieu (avec toutes les conséquences qui en découlent). Etre un jour face à lui révèlera le jugement dont nous sommes les acteurs aujourd'hui : « Le voici maintenant, le jour favorable le voici maintenant le jour du salut ! » (2 Cor VI 1).
Ainsi, à notre mort le jugement est déjà clos (ce qu'on appelle le « Jugement particulier »), le « Jugement dernier », lui, nous fera entrer avec la communauté de toute l'humanité dans le Royaume nouveau qui sera alors inauguré. Les éléments de ce monde qui peuvent y participer seront intégrés à cette création nouvelle, comme notre corps qui, mystérieusement et parce qu'il constitue une partie de notre identité, ressuscitera comme celui du Christ glorieux.
Tiraillés entre l'angoisse des apôtres : « mais alors qui peut être sauvé ? » (Mx X 27) et l'insouciance de ceux qui misent avec légèreté sur la bonté de Dieu, nous préfèrerions peut-être passer outre.
Saint François d'Assise rajoutera ces mots à son Cantique des créatures : « Sois loué, mon Seigneur, pour notre sœur la mort corporelle, à qui nul homme vivant ne peut échapper ! Malheur à celui qui meurt en état de péché ! Heureux ceux qu'elle trouvera faisant ta très sainte volonté ! Car la seconde mort ne pourra leur nuire. » Il rappelle ici la nécessité de la « persévérance finale » (le fait d'être trouvé à son poste au moment de la Rencontre), qui s'ancre dans la parole du Christ : « Heureux serviteur, que son maître, en arrivant, trouvera à son travail. » (Lc XII 43). Mais, rester vigilant jusqu'au bout est moins une affaire de calcul réussi que de sereine fidélité : Dieu n'est pas venu nous piéger ! C'est dans la fidélité d'aujourd'hui, tranquille, exempte de toute crainte et de toute tension, que je prépare le plus efficacement le Rendez-vous de toute ma vie.
Alors, ce n'est pas un hasard si l'évangile et la vie des saints préfèrent insister sur la perspective du salut que sur la possibilité de la damnation. Un détail auquel on ne songe pas : l'Eglise n'a toujours instruit que des procès de canonisation et le seul procès de damnation curieusement suggéré au pape Pie IV n'a jamais abouti...
Il me faut donc regarder le temps présent, l'accueillir comme la chance que Dieu me donne pour le rencontrer aujourd'hui et cette rencontre assure celle de demain.
Si je dois penser au dernier jour, c'est pour me stimuler dans cet accueil présent de l'amour de Dieu, y puiser le sens de l'infini qu'il contient, en pressentir l'immensité. Et si l'inquiétude refait surface, comme aux apôtres le Seigneur me répond : « à l'homme le salut est impossible mais tout est possible à Dieu ». Il me plait de rappeler le tympan roman de la cathédrale d'Autun où l'archange Michel chargé de la pesée des âmes appuie négligemment son doigt, l'air de rien, sur un des plateaux de la balance (le bon, bien sûr...), exerçant alors la justice de Dieu, là où nous pourrions considérer qu'il fausse notre justice à la façon humaine : « Par son obéissance, le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes, il se chargera de leurs péchés. » (Is LIII 11).
Oui, c'est confiants et sereins, les yeux et le cœur tournés vers Jésus Christ qui vient nous sauver, qu'il nous faut tenir notre lampe allumée !
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